Translate

mercredi 23 octobre 2019

L’oppression de la gourde par le dollar américain

La Banque de la République d’Haïti(BRH) a été créée par la loi du 17 août 1979. Elle a de nombreuses attributions telles que : défendre la valeur interne et externe de la monnaie nationale ; assurer l’efficacité, le développement et l’intégrité du système de paiements ; assurer la stabilité du  système financier ; agir comme banquier, caissier  et agent  fiscal de l’Etat.


De ce fait, la BRH joue un rôle primordial dans le développement de l’économie du pays et cela doit se faire à travers une politique monétaire, cette dernière étant considérée  comme l’un des principaux vecteurs pour orienter l’économie nationale. Dans cette optique, le taux de change semble être un élément essentiel sur lequel la BRH doit miser en vue d’atteindre la politique monétaire de l’Etat. La BRH, consciente de sa mission, agit sur l’une, la plus importante qui est de stabiliser le pouvoir d’achat de la monnaie nationale sur le marché des changes, disons la gourde. Pour cela, le 1er instrument qu’elle devrait utiliser revêt de l’«Operations open market » qui consiste à injecter des dollars US sur le marché des changes. En effet, en mars 2017, elle avait injecté vingt millions(20,000,000.00) de dollars américains sur le marché des changes, en vue de freiner la dépréciation de la gourde.

Cependant, cette dépréciation s’est stationnée autour de 69 à 70 gourdes pour un dollar US. Immédiatement après cette injection, soit le 06 avril 2017, la BRH injecte dix (10,000,000.00) de dollars américains sur le marché des changes en poursuivant toujours le  même objectif. Cette fois-ci, l’impact était très considérable au point que le taux passe de 69 à 68.75 gourdes à l’achat et 69.50 à 69 gourdes à la vente, et la situation tendait à s’améliorer pour atteindre jusqu’en juillet 2017 62 gourdes à l’achat et 64  gourdes à la vente. Encore, la BRH intervient sur le marchédes changes le 19 juillet 2017 en injectant dix millions (10,000,000.00) de dollars américains. En dépit de ces mesures, la pression que le dollar exerce sur la gourde est tellement forte, cette injection ne faisait que stabiliser le taux au même niveau, toujours 62 gourdes à l’achat et 64 gourdes à la vente. La dégringolade de la gourde face au dollar américain n’attend même pas deux trimestres pour être effective malgré les efforts titanesques déployés par la BRH.

La BRH se sentant toujours préoccupée par cette question ne reste pas en silence, elle continue de multiplier ses efforts en utilisant d’autres  outils tels que : bons BRH, obligations BRH et dédollarisation de l’économie haïtienne avec pour objectif de baisser la pression sur le change. Malgré tous ses efforts, elle n’arrive jamais  à trouver les résultats escomptés. Elle s’est obligée de continuer avec la même pratique où récemment elle fait l’injection de quarante millions de dollars sur le marché des changes dont vingt-cinq millions 4 juin, quinze millions 6 juin. Hors le 4 juin, le taux était de 90.80 gourdes pour un dollar. Le taux continuait à grimper l’escalier pour s’établir, même après l’injection du 6 juin, soit du côté de 16,17 juin 2019 à 93 gourdes pour 1 dollar où il se pourrait bien que l’impact devient vraiment réel. Alors sincèrement ces injections ne sont pas sans importance, par contre ceci explique comment le taux de change s’accroit tellement avec une vitesse exponentielle, elle ne peut pas freiner l’hémorragie, de ce fait l’impact paraît insignifiant.

La BRH, en poursuivant le même objectif qui n’est autre que stabiliser le taux de change qui ronge jour après jour le pouvoir d’achat de la population surtout les masses populaires. Elle intervient sur le marché en injectant dix millions de dollars dans l’économie. A ce stade, le taux était de 94.07 gourdes  pour 1 dollar us, il continu à échelonner sur un rythme démesuré  pour s’installer à 95.85 gourdes  pour 1 dollar us le 23 sept 2019. D’où, cela traduit par la quasi-inexistence de la production nationale ainsi que le phénomène d’insécurité débordante à tous les niveaux (physique, alimentaire, sanitaire, économique, sociale, environnementale) qui gangrène ce pays, l’irresponsabilité et l’ingérence, l’instabilité politique, ceux qui nous conduisent  dans une crise socio-politico-économique sans précédente où la classe moyenne est décapitalisée et appauvrie, la société est tellement agitée il est évident que nous sommes sous une pente d’éclatement social. Certes, elle intervient par le canal du Gouverneur général de ladite institution Jean Baden Dubois pour dépolariser l’économie haïtienne, c’est un ensemble de mesures appréciables.

Cependant, sans l’application des  règles en vigueur avec beaucoup de rigueur sur les termes, les consommateurs finaux ne cesseraient de payer le prix, comme c’était le cas des mesures prises par le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) pour l’annulation de certaines graduations dans le secteur éducatif. Les entrepreneurs et autres acteurs économiques intéressés pourraient contourner ces dispositifs de façon à ce que même s’ils n’affichent pas le prix en dollar US (elles n’exigent pas le dollar US), mais ajustent le prix à son gré où presque chaque entreprise à son taux en poche.

Il est vrai que l’intervention de la BRH sur le marché des changes à travers des  «opérations open market» et bien d’autres mesures pour atténuer le dérèglement du taux de change est importante (pourvu qu’elle influence ce dernier selon la loi de l’offre et de la demande, du fait qu’elle augmente l’offre en dollars américains et diminue la quantité de monnaie nationale en circulation).

Cependant, il est évident qu’elle ne fait qu’apporter seulement  une solution à court terme pour ne pas dire à très court terme. En dépit d’un train de mesures concoctées par la BRH, cela n’empêcherait pas qu’aujourd’hui pour obtenir un dollar américain, on a besoin plus de 96 gourdes. La Banque des banques n’arrive pas à maintenir stable le taux de change à un niveau appréciable par le simple fait que le problème est beaucoup plus complexe qu’on  l’aurait compris et que la situation haïtienne ressemble à un micmac économique.

Nous vivons dans un marasme économique où l’inflation et le chômage font rage avec un taux respectivement d’environ 19.2% et 70%. On a une balance commerciale déficitaire  tout en tenant compte des réserves obligatoires de la BRH qui ne sont pas inépuisables comme l’a formulé Cyprien L. Gary, sans oublier le déficit budgétaire dont toujours fait face Haïti. Pour ajouter, les familles de la majorité de nos politiciens s’installent à l’étranger, un bon nombre d’entre eux y font très souvent des va-et-vient pour des petites visites en plus des transferts couramment effectués vers l’extérieur. Même des professeurs en situation de précarité économique ont des familles à l’étranger pour y prendre soins, sans compter de vagues d’Haïtiens en situation d’exil économique à cause de l’irresponsabilité de l’Etat haïtien.

En outre, ce qui est grave, la dégringolade  de la gourde  cause en elle-même sa chute du fait que les gens cherchent à échanger leurs gourdes contre des billets verts afin de mieux conserver le pouvoir d’achat de son épargne, ce qui conduit à l’intensification de la thésaurisation du dollar américain. D’où, ces problèmes ne peuvent être résolus uniquement par la Banque centrale. Par contre, il revêt d’une importance cruciale pour que les institutions étatiques y compris la BRH (à travers une politique économique bien définie par le gouvernement) conjuguent leurs forces pour remédier à cette situation.

Recommandations
En effet, nous pensons tout en restant ouvert au débat que l’adoption de cette politique économique peut prendre en compte plusieurs axes :
1- Relance de la production nationale, en passant par :
a)  l’application de véritables politiques de productions agricoles, (car la faiblesse de notre monnaie nationale dépend en majeure partie de la faiblesse de notre production nationale) ce qui va entraîner à la fois une diminution de l’importation et une augmentation de l’exportation (moins de demande pour le dollar américain, cela favorisera la croissance économique) ;
b) production touristique, (rentrée de devises, écoulement de différents produits, etc…) en commençant par ces deux principaux axes on aura bien sûr une croissance économique significative ;
2- a) L’Etat haïtien doit investir dans l’agriculture de manière directe et ceci à plusieurs niveaux et de pratiquer une production agricole à grande échelle afin de non seulement créer des emplois mais aussi de baisser le prix des produits agricoles et ceux dérivés de ces types de produits et ensuite d’exporter ;
b) L’Etat haïtien doit donner garantie aux agriculteurs qu’en plus de son support quant au crédit agricole les pertes aléatoires seront de partage entre eux et d’autres marchés pour écouler leurs produits. (Cela encourage les investisseurs à s’installer dans ce secteur moteur de développement et surtout pour un pays comme Haïti). A ce stade, cela contribuerait également à la sauvegarde de notre souveraineté face à la communauté internationale surtout vis-à-vis de la République Dominicaine, en diminuant non seulement la production de cette dernière (beaucoup de nos compatriotes œuvrant dans le domaine de l’agriculture chez le pays voisin vont retourner chez eux), mais aussi l’importation des produits  à base de l’agriculture. Car la souveraineté d’un pays dépend en grande partie de sa capacité productive et de son pouvoir économique ;
3- prendre des mesures pour inciter les ménages à épargner beaucoup plus dans le but de trouver des fonds nécessaires afin d’octroyer plus de crédit possible au profit de l’investissement ;
4- canaliser les investissements dans des projets prioritaires et viables ensuite l’Etat haïtien doit éviter le gaspillage au plus haut niveau que possible,
5-    créer la stabilité politique par un climat propice en vue d’attirer beaucoup plus de touristes et d’investisseurs tant locaux qu’internationaux, car sans la stabilité politique il n’y aura pas de développement et ce dernier engendre la croissance économique ;
6- chercher à contrôler le marché des changes de manière plus stricte, (surtout pour ceux qui fonctionnent de manière informelle et en situation de voracité économique ambiante) ;
7- reconduire intégralement les dispositifs mis en place concernant la dédollarisation de l’économie haïtienne et veiller à son entière application.

Tout cela contribuerait au progrès économique du pays et à l’amélioration de la qualité de vie de la population.

Référence
1.     Journal Le nouvelliste, No 39934/8 et 9 avril 2017
2.     Journal Le nouvelliste, No 40005/26 juillet 2017
3.     www.brh.gouv.ht


Belface PIERRE,
Comptable diplômé
belfacepierre@gmail.com

Aucun commentaire:

Publier un commentaire