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samedi 18 novembre 2017

Le tombeau sacré des élus

 En tant que politologue, communicateur social et jeune chercheur, il m’incombe une cuisante responsabilité d’écrire sur l’histoire politique immédiate en vue de saisir le sens et la portée des faits alimentant le quotidien truffé d’embuches, d’implicites et de non-dits. Les controverses autour de la personnalité politique touchant autant la forme et le fonds de la vie du 58e président d’Haïti interpellent des explications scientifiques dans l’espace public en vue de charpenter urbi et orbi les grands chantiers de l’avenir. Aujourd’hui, le destin de tout un peuple dépend de ses prises de décisions, de sa vision politique, de ses projets managériaux au-delà des contingences du temps bien évidemment. Dans un pays qui souffre d’organisation politique stable et de projet sociopolitique viable, d’isolement international, de saignée migratoire forcenée, l’improvisation devient norme triomphante artificielle des couches dominantes pour garder le pouvoir au grand dam des marginalisés, des chômeurs et des attributs populaires.


La transition démocratique de 1986 logeant enseigne aux élections a galvaudé le terme populaire. On peut être populaire sans avoir des rapports de force qui jouent en sa faveur. Aujourd’hui, le protégé de Michel Joseph Martelly semble avoir obtenir tout en sa faveur : rapports de force, communauté internationale, la minorité agissante, la majorité silencieuse, des madrés ou des animaux politiques, le parlement avec un quorum rose, des élus réunis aux quatre vents de Les Irois jusqu’à Ouanaminthe pour ne pas dire l’effet Kita Nago. Dieu seul sait combien des erreurs colossales de l’opposition ont servi au régime Tèt Kale dans le processus de la conservation du pouvoir. Pris au piège de la léthargie ambiante, atrophié par manque d’ouverture à la jeunesse, méfiant dans son émiettement, le mouvement populaire liquidé par des come-back et des éternels outsiders aurait du mal à donner les résultats politiques escomptés. Sans le vouloir, le secteur démocratique par manque d’alternatives et de stratégies de prises du pouvoir, a ouvert la voie à la beauté iconoclaste des saisons d’innovation politique. N’était-ce le petit carnet d’exclusion livré par le Conseil électoral provisoire d’alors au recteur Jacky Lumarque, l’effet-surprise pourrait faire sa marque à l’instigation du parti politique VERITE. Pour avoir trop tiré sur la corde de la démocratie pendant près de deux ans de campagne électorale inédite, tous les candidats (les prétendus élus) ont livré une carte de bénédiction ou d’accréditation sacrée à Jovenel Moïse. « Ni le religieux ni le politique ne semblent offrir la base d’un nouveau lien social en Haïti après l’effondrement du régime dictatorial de Duvalier en 1986 ». Or, c’est cette mission titanique qui est confiée à Jovenel Moïse en lui accordant un mandat quinquennal constitutionnel.

Volontariste à outrance et peu conflictuel

Pour ceux qui souhaitaient un doux divorce avec la bande rose amenée par Sweet Micky converti en Michel Joseph Martelly, puis reconverti en Sweet Micky pour se métamorphoser une énième fois en Michel Joseph Martelly, Jovenel Moïse représente dans ce contexte la figure la plus représentable, la version consommable idéologiquement non négligeable basée sur le changement d’une alternative au rabais contre un dessalinisme pur et dur prôné par l’autre Moïse (Moïse Jean Charles). Avec un sourire pitoyable et très peu conflictuel, ses discours de campagne quoique agressifs privilégient l’alliance des classes sociales au détriment de la lutte des classes. C’est pour cela qu’il peut faire réunir au palais national autant d’éléments de la classe bourgeoise que de la classe moyenne.

Il a plus de sagacité et de verbes que son initiateur, Michel Joseph Martelly. Il est une boîte à parole cachée dans l’hémisphère occidental attendant pour lui-même la venue triomphale des dieux. Sa réussite électorale et communicationnelle tient du fait qu’aucun de ses concurrents à la magistrature suprême de l’Etat n’ose déconstruire ses discours de campagne. Dans la mesure où tout discours fait corps avec l’émetteur, le déconstruire c’est déconstruire son émetteur. Or, certains candidats se contentent d’imiter servilement les slogans de campagne de leurs concurrents.

Dans « La présentation de soi, la mise en scène de la vie quotidienne », le sociologue et écrivain Erving Goffman de la célèbre école de Chicago nous montre comment la gestuelle des acteurs peut trahir ou confirmer leurs intentions. Sachant que la vie est une vaste scène de théâtre, Jovenel Moïse est celui qui sait mieux jouer sa part dans nos malheurs. Lors de ses présentations, sans froisser les interactants, il mène la danse sans perdre la face. Il n’y a nul doute que le nouveau président d’Haïti soit un grand cinéphile. Plus que les autres, il prend très au sérieux ses répétitions et sait que la guerre sans préparation est perdue d’avance. En tant que produit politique, il vend une façade personnelle unique (physionomie, visage souriant ou dur comme fer, personnalité physique, tonalité musclée de la voix, habits décomplexés). Cette posture sera fondamentale dans le choix des électeurs. Beaucoup des gens qui l’ont choisi ont voté un symbole (la banane) et un statut (l’entrepreneur, le petit paysan ou l’enfant souriant). Ce qui correspond à l’effet combiné de la volonté populaire et de l’offre politique. Mais, comme le souligne à juste titre le roi polonais Stanislas Leszczynski : « Le pouvoir ne répond pas toujours à la volonté. Il faudrait consulter l’un avant l’autre, mais la plupart des hommes commencent par vouloir ; ils agissent ensuite comme ils peuvent ». Dans sa stratégie discursive, ses actions publiques, ses promesses, son début de gouvernance, Jovenel Moïse ressemble plus à un philosophe politique bienfaisant, un génie entreprenant qu’à un homme politique.

L’enfant tout souriant du Bondye bon

JOMO ou JOJO est le surnom de celui tout souriant qu’on croit être naïf. Par son talent d’alterner le sourire et le sérieux, il détient l’avantage de l’émetteur triomphant et profite de la passivité du récepteur. Il est le prototype de l’enfant du Bondye bon. Dans la sociologie politique haïtienne, les gouvernés pour se rapprocher des gouvernants ont développé une sorte d’affectivité sociopolitique de l’appellation. Ainsi, dans le sillage de la longue transition, Jean Bertrand Aristide fut appelé Titid, René Préval Ti René, Michel Joseph Martelly Ti Simòn.

À suivre…

Méleck Jean Baptiste, Politologue


Crédit: http://www.lenational.org/tombeau-sacre-elus/

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