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vendredi 24 avril 2020

Haïti-Coronavirus : Quand les autorités jouent avec la vie de millions d'habitants

Le 7 mars 2020, certains ouvriers de la CODEVI avaient de masque de protection et d'autres n'en avaient pas. | Par Jéthro-Claudel Pierre Jeanty / de Nord-Est Info
Les deux premiers cas de covid-19 ont été confirmés en Haïti le 19 mars 2020, soit depuis plus d'un mois. Entre temps, 690 personnes ont été suspectées. Parmi lesquelles 72 sont testées positif. Parmi les cas confirmés, on enregistre 5 décès et 2 guérisons.


Suite à la confirmation des deux premiers cas, le président de la République Jovenel Moïse a décrété l'état d'urgence sanitaire. Depuis lors, les autorités se contentent de donner des conférences de presse et de faire des annonces qui ne se concrétisent pas.

Pour renforcer le système sanitaire du pays, le gouvernement a placé une commande d'un lot de matériels sanitaires et hospitaliers pour un montant de plus de 18 millions de dollars, en provenance de la Chine. Ce qu’a confirmé le premier ministre Jouthe Joseph en date du 28 mars dernier.

Les équipements devraient arriver dans le pays autour du 10 avril. Mais, deux semaines plus tard, ils ne le sont pas encore. De leur côté, les autorités ne fournissent aucune explication à la population.

Rappelons que, de nombreux médecins avaient exprimé leur intention de donner leur démission des centres hospitaliers publics à cause de la faiblesse de ces structures pour affronter le covid-19. Ceci, c'est dans le but de préserver leur vie. Toutefois, ils ne sont pas encore arrivés là.

Jusqu'à ce 24 avril, il n’y a aucun centre hospitalier dédié pour la prise en charge des malades du covid-19 et très peu d'hôpitaux ont un espace réservé aux malades du covid-19. Prenons le cas du Nord-Est où le directeur départemental du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP), Jean Denis Pierre avait annoncé depuis le 5 mars, l'aménagement d'un bâtiment dans la commune de Caracol ayant la capacité de recevoir une vingtaine de patients. Cependant, jusqu'à fin avril, les responsables sanitaires du Nord-Est continuent d'envoyer les cas positifs au covid-19 à l'hôpital Sacré-Cœur de Milot (dans le département du Nord) et à l'hôpital Universitaire de Mirebalais (dans le département du Centre).

Considérant leur faible capacité d’accueil, les responsables de ces hôpitaux commencent à refuser les malades au coronavirus venus du département du Nord-Est. Ils ne cessent d'exhorter les responsables sanitaires de ce département à faire les préparations nécessaires pour pouvoir prendre soin de leurs malades.

Au lieu de faire des mises en place à travers tout le pays pour pouvoir soigner les malades, le gouvernement se prépare de préférence à enterrer les habitants après les avoir laissés crever par le covid-19. Sur ce point, le ministre des travaux publics, Joacéus Nader a lâché le mot quand il a déclaré « Si les prévisions sont justes, il y aura entre 1000 à 1500 morts par jour d’ici 15 mai, dans les zones de forte densité de population ». Plus loin, le ministre Nader estime que son institution est prêt pour enterrer les cadavres.

Prétendant vouloir faciliter aux habitants de rester chez eux, conformément à la recommandation du gouvernement, les autorités ont annoncé depuis le 27 mars dernier une allocation de 3000 gourdes, soit 29,63 dollars américains (avec un taux du jour de 101,25 gourdes pour 1 dollar) au profit 1 million de familles de la région métropolitaine et de 2000 gourdes, soit 19,75 dollars américains au profit de 500 mille familles des zones de province et des zones rurales. Près d'un mois après, personne n'a reçu pas même un centime. Et, aucune explication de la part des autorités!

Autre élément à souligner dans la liste des points cristallisant la mauvaise gestion de la crise. Le gouvernement avait, d'un côté, promu la distribution des millions de masques de protection à la population, et d'un autre côté, annoncé le port du masque de protection qui sera obligatoire. Cependant, c’est plus d'une semaine après la date annoncée pour démarrer avec les distributions que les autorités auraient distribué 150 mille masques dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Quant à la "campagne de sensibilisation" du gouvernement pour amener la population à appliquer les mesures barrières, c'est-à-dire, la pratique systématique des règles d'hygiène, l'observation de la distanciation sociale, le port de cache-nez et 'évitement tout déplacement inutile ; le résultat n'est pas satisfaisant.

C'est dans ce contexte de manque flagrant de préparation et d'irresponsabilité manifeste de la part des dirigeants que le premier ministre Jouthe Joseph avait annoncé la réouverture des industries du textile pour le lundi 19 avril, sans avoir maîtriser la propagation du covid-19, en prétextant la relance de l'économie.

Ce gouvernement nage dans la contradiction. D'un côté, il autorise la réouverture des factories de la sous-traitance qui vont réunir chacune plusieurs milliers de personnes dans un seul endroit, sans s'assurer de prendre les mesures appropriées et d'un autre côté, il prolonge jusqu'au 19 mai l'état d'urgence sanitaire. L'état d'urgence sanitaire implique, entre autres, l'interdiction de tout rassemblement de plus de 10 personnes.

Attardons un peu sur la Compagnie de Développement Industriel (CODEVI) qui se trouve à la frontière de Ouanaminthe, avec ses plus de 12 mille ouvriers.

Suite à l'annonce du premier ministre Joseph, plusieurs milliers d'ouvriers se sont rendus à l'entreprise pour reprendre du travail. Toutefois, les responsables de la CODEVI les ont renvoyés. Seuls les 30% autorisés par le gouvernement seraient appelés à la réintégration.

Soulignons que 3 fabriques de la CODEVI avaient déjà réouvert leurs portes afin de confectionner d'équipements médicaux, soit des blouses et des cache-nez, avec l'autorisation gouvernement haïtien, environ une semaine après l'arrêté décrétant l'état d'urgence sanitaire. Il faut aussi rappeler que 2 de ces 3 usines étaient toujours destinées à la confection d'équipements médicaux pour des clients qui se trouvent Etats-Unis d'Amérique.

Il ne vaut même pas la peine de rappeler le risque de propagation à grande échelle du covid-19 avec la réouverture des usines. Tout le monde connaît déjà la réponse.

Cependant, il faut se demander, qu'est-ce-que Haïti va gagner en mettant cette épée de Damoclès sur sa tête? Est-ce que ces équipements médicaux, voire même certains de ces équipements médicaux, vont être utilisés pour renforcer le système sanitaire du pays? Qu'est-ce qui aurait empêché au gouvernement haïtien de placer une commande auprès de la CODEVI?

Malheureusement, les "réponses" à ces questions ne sont pas rassurantes.

Interrogé par Nord-Est Info en date du 7 avril 2020, l'administrateur de la CODEVI, Francoeur Joseph n'était pas en mesure de préciser si le gouvernement haïtien a placé une commande auprès de la compagnie, malgré notre insistance pour trouver une précision. Il était plutôt dans le monde de la supposition.

Par contre, pour encourager les ouvriers à accepter les risques, les responsables de cette compagnie les ont affirmé que ces équipements sont destinés au personnel médical haïtien.

Rappelons que, depuis toujours, les productions de la CODEVI sont destinées au marché nord américain, spécialement les Etats-Unis d'Amérique. Puis, étant une compagnie de la sous-traitance, elle produit sous commande des clients.

Face à la pandémie du coronavirus, l’avenir d’Haïti est incertain. L'heure est grave et nécessite des actions concrètes et responsables. Si les dirigeants veulent donner du résultat, ils doivent cesser de jouer avec la vie des habitants et diriger ce pays comme des patriotes, mais pas comme des profiteurs, des corrompus ou des traîtres.

Pour faire face à cette pandémie, il y a au moins 3 axes lesquels l'Etat haïtien doit agir. Primo, le renforcement véritable du système sanitaire du pays. Secundo, l'éducation de la population. Tertio, accompagnement social/sanction pour les réfractaires.


Jéthro-Claudel Pierre Jeanty

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