Jovenel Moïse |
Entretien exclusif -
Quel est votre parcours et quelles sont vos origines ?
Je viens d’une famille nombreuse et modeste de Trou du Nord. Mon papa est cultivateur-mécanicien. Je suis allé à l’université à Port-au-Prince, puis je le suis mis tout de suite à travailler. Quand je me suis lancé dans cette aventure, il y a vingt-deux mois, j’étais à la tête d’une des plus grosses entreprises du pays pour la production industrielle et le négoce international de bananes.
Qu’est ce qui vous a amené à vous porter candidat ? Vous avez des relations d’amitié avec Michel Martelly, le président sortant…
J’ai toujours rêvé de voir un Haïti ouvert aux affaires et prospère. Mais cette prospérité a un frein : la politique. Aujourd’hui, il faut faire de la politique en Haïti autrement. Pas de la politique politicienne qui sert un petit groupe ou des intérêts personnels. Je me suis lancé dans cette bataille pour que la politique serve la collectivité. Ces trente dernières années, nous avons eu un gros problème de leadership. Cela veut dire des présidents qui n’ont pas eu des visions claires en matière de réforme de l’état, de gouvernance. Moi, je me sens à l’aise pour dire que ce pays nous allons le mettre sur les rails du développement.
On demande à un chef d’État d’avoir une vision de l’avenir du pays. Quelle est votre vision pour Haïti ?
Je veux écrire la première page de l’indépendance économique de notre pays. On ne l’a jamais eue. On a eu l’indépendance politique, Pour y arriver il faut un développement endogène, essayer de créer une solidarité interhaïtienne. On est quinze millions dans la nation haïtienne, mais avec 4 millions qui sont à l’extérieur. Mais la constitution de 1987 les exclut carrément, ils n’ont pas de droits, seulement des devoirs. Ils envoient des milliards, mais ne peuvent pas voter. Il faut intégrer la diaspora, lui donner des droits économiques sociaux, politiques, culturels. Ce sont nos frères, nos sœurs. Et pour le faire, nous avons besoin d’une réforme en profondeur de notre constitution.
Comment éviter les crises politiques qui secouent le pays ?
Nous avons besoin de stabilité. On ne peut pas parler de développement sans stabilité politique. Dans un mandat de 5 ans, un président doit faire trois élections. À chaque fois, c’est une espèce de crise qui bloque le pays. Je souhaite qu’il y ait une seule élection tous les cinq ans, un seul temps électoral avec d’abord les élections locales, puis les élections des parlementaires, et celle du président. Il faut aussi changer l’époque des élections. Ne plus les faire de juin à décembre car c’est l’époque des cyclones. Il faut mettre ça de janvier à juin.
L’agriculture : c’est votre priorité ?
Regardons Cuba, la république Dominicaine, et la Jamaïque. En termes de développement, ils ont fait des choix et cela date de trente ans. En République Dominicaine, ils ont utilisé les ressources naturelles. Ils ont travaillé dans la gestion et la maîtrise des eaux de surface. Je vais mettre ma terre, les hommes, l’eau et le soleil ensemble pour pouvoir démarrer cette révolution. Sur 11 milliards de mètres cubes d’eau, la république dominicaine a une maîtrise de près de 40 %. En Haïti, 0 % !
Première chose, donc, gérer les eaux de surface. Ensuite, il faut bénéficier de la technologie et profiter de l’énergie solaire. Regardez ce que le Maroc est en train de faire avec le soleil. Je suis fasciné de voir comment les Marocains développent leur agriculture avec des systèmes de pompage solaire. En Haïti, nous avons du soleil 365 jours par an et qu’est ce que nous faisons avec ? Je veux moderniser l’agriculture. Prenez l’exemple du Pérou qui a fait un bond en avant avec son fameux projet de terres gagnées sur le désert. Ils ont amené une rivière sur 285 km et ont gagné 75 000 ha. Là, le revenu moyen est passé de moins d’un dollar par jour à un salaire minimum de 16 dollars.
Comment allez vous faire ?
Nous n’allons pas inventer la roue. Toutes ces rivières d’Haïti qui se jettent à, la mer, on va créer des microbarrages dessus, On n’a pas beaucoup d’argent, mais on va faire avec ce que l’on a. Notre parc d’équipement est évalué à près de 600 millions de dollars. II est là, c’est pour l’État. Il faut utiliser ces équipements pour faire ces microbarrages. On a la chance d’avoir des sols argileux, cela ne va pas coûter cher pour conserver l’eau. Deuxièmement, nous allons utiliser le soleil pour pomper l’eau et irriguer les terres et avoir l’agriculture biologique qui est une révolution. Nous avons listé 52 produits pour l’exportation. Il faut regarder l’export d’abord. parce qu’il va toujours y avoir des surplus.
Une agriculture haïtienne compétitive est possible malgré les importations qui ont tué les producteurs, de riz par exemple ?
Il y a des choix à faire, nous avons une grande zone de production de riz dans la vallée de l’Artibonite. Les 500 000 ha de plaine, est ce que l’on va dire qu’on va mettre du riz dessus ? On va essayer d’augmenter la productivité des plaines qu’on a en riz, mais on va se diversifier pour aller vers des produits compétitifs. Nous sommes un pays tropical, il y a des choses que la terre d’Haïti peut produire et que vous ne pouvez pas produire chez vous. Les fruits et les légumes et les tubercules. On a se concentrer sur ça et, vous allez voir, dans 5 ans le changement sera visible, clair. La deuxième priorité c’est le tourisme.
Comment voyez-vous le développement du tourisme ? Par exemple à Port-au-Prince où la sécurité n’est pas assurée ?
Prenons le modèle de la Jamaïque. C’est un pays qui mise son économie sur le tourisme. Est-ce que les touristes vont à Kingston ? Non. Ils vont à Negril, sur les plages de Montego Bay… On va développer des pôles touristiques, notre pays a tellement d’atouts, on a une histoire unique dans la Caraïbe. On va créer des pôles, pour les croisières aussi. Au Cap-Haïtien, on fait 4 ou 5 bateaux par semaine. La semaine prochaine on va recevoir le plus grand bateau de Royal Caribean, le Harmony of the seas, construit chez vous, à Saint-Nazaire.
Mais les passagers restent à Labadie, on va les emmener visiter la citadelle, Cap-Haïtien qui est une ville historique, coloniale. Pour cela, il faudra créer des routes. C’est notre troisième priorité, la construction. Haïti a besoin de 4500 à 5 000 km de routes et on n’a pas 1 000 km de bonnes routes. Il faut prioriser cela si l’on veut parler de développement. Et aussi agir pour la construction immobilière. Nous sommes en train de connaître une sorte de bidonvillisation anarchique depuis ces trente dernières années. II faut un aménagement global, une planification. On a besoin de 40 000 à 50 000 logements par année.
Le 4e pilier, ce sont les services. Des centres d’appel pour des services après-vente, des plates-formes. La république dominicaine a créé plus de 100 000 emplois dans ce secteur. Haïti on est en train de démarrer. Quand on parle d’apaisement social, la base c’est la création d’emplois. Il y a aussi une réforme à faire sur l’énergie. Notamment l’énergie de cuisson. Quand on voit ce qui se passe avec la déforestation pour faire du charbon de bois ! La ville de Port-au-Prince consomme 70 % du charbon de bois. Pourtant, on vend le gaz au détail aujourd’hui, Pourquoi les ménages privilégient le charbon ? Nous allons faire une étude. Quand nous aurons la réponse, nous allons intervenir.
Mais moi, j’ai plus ou moins une idée. C’est à cause du pouvoir d’achat des ménages. Le charbon n’est pas moins cher, mais un réchaud pour le charbon s’achète moins 100 gourdes (1,50 €) et un réchaud pour le gaz, 1 000 gourdes (15 €). Il faut aider les gens à s’équiper.
Vous avez fait une longue campagne avec beaucoup de meetings à travers le pays où vous avez porté ce discours. C’est là l’explication de votre succès électoral ?
J’ai un discours clair, je dis la même chose. J’ai fait 750 rassemblements. Les Haïtiens connaissent bien mon programme.
Quelles sont vos relations avec le président Martelly. Vos adversaires vous accusent d’être son homme de paille…
La politique est un milieu dur, où l’on est attaqué. C’est comme cela. Nos relations sont excellentes. Il a l’expérience d’un président. Vous devenez président, vous avez cet homme-là comme mentor c’est une très bonne chose. Vous allez pouvoir comprendre les erreurs qu’il a commises ; les pièges qu’on a tendus pour lui. C’est un trésor. Et ce n’est pas seulement le président Martelly que j’ai comme personne ressource, même si nous avons des relations d’amitié. Je parle aussi aux autres présidents.
Votre autonomie est totale ?
Je suis le candidat du PHTK. Après février 2016, on a fait des restructurations, une réforme en profondeur du parti, j’ai pris le leadership. Et nous allons continuer à le réorganiser.
22 % seulement de votants en novembre : avec un tel taux d’abstention comment comptez vous devenir le président de tous les Haïtiens ?
Il y a un désintérêt pour la politique en Haïti. Les gens ne comprennent pas. Si vous voulez changer quelque chose dans le pays, il faut s’impliquer. Comme président, je vais travailler à combattre les fléaux qui alimentent cette méfiance de la population. Je veux parler de la corruption.
On voit quelqu’un qui entre au service de l’Etat et qui, deux ou trois ans après, sort riche. Ce n’est pas possible. Il faut redonner confiance dans la démocratie et cela passe d’abord par la lutte contre la corruption. La deuxième priorité, il faut respecter ses promesses de campagne tenir ses engagements. La troisième, il faut éviter les crises politiques. C’est pour cela que, comme je vous le disais, je veux réformer la Constitution, avec un vote du Parlement.
Vous aurez la majorité au parlement ?
C’est sûr ! Pas de majorité absolue du parti lui-même mais une majorité à travers des alliances, au Sénat et à la Chambre des députés. Avec ces alliances, nous allons avoir une bonne majorité qui va nous permettre de respecter les promesses de campagne.
Il reste quand même à attendre la confirmation de votre élection par la commission électorale le 29 décembre. Est ce que vous avez une crainte ?
J’ai eu le résultat des élections avant le conseil électoral. Nous sommes un parti politique bien organisé. Nous avons 10 142 procès-verbaux, ceux de tous les bureaux où nous sommes arrivés en première ou deuxième position. Après 24 heures, nous avons collecté tous les procès-verbaux, nous avons notre propre centre de tabulation, les résultats que j’ai entendu 8 jours après, je les avais déjà. La constitution dit un homme, un vote moi j’ai le résultat du vote des urnes.
Les observateurs reconnaissent que ces élections ont été de bonnes élections, avec peu de fraudes. Pourquoi ces contestations ?
C’est dans la tradition haïtienne (rires). C’est comme si un joueur de football qui fait un tir au but et ça passe à côté, c’est son soulier qui est mal fait ! J’ai même entendu un candidat dire : il fait refaire les élections jusqu’à ce que je gagne !
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